Transition écologique

Le numérique verdit les flottes d’entreprise

1 001 outils digitaux au service des gestionnaires de flottes pour en réduire l’impact environnemental

Les réglementations et la réalité économique obligent les entreprises à transformer leur approche de la flotte automobile pour intégrer la dimension environnementale. Les services numériques de gestion de parc ont bien compris cet enjeu de décarbonation. Ils utilisent leur activité historique, la géolocalisation, pour aider les groupes à gérer leur parc existant ou à mener la transition. En outre, les télématiciens développent des solutions pour accompagner les gestionnaires de flotte dans le passage à l’électrique, du choix des véhicules à transformer à l’intendance des recharges ou encore à l’identification des bonnes et des mauvaises pratiques des collaborateurs.
 

Le verdissement des flottes automobiles est en cours. Cette décennie s’annonce même charnière, d’abord parce que la réglementation de la Loi d’orientation des mobilités (LOM) entre progressivement en vigueur. Même si le gouvernement a largement temporisé, les zones à faibles émissions (ZFE) restent une réalité à Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Rouen. Plus directement, la loi LOM oblige les entreprises à acquérir 10 % de véhicules à faibles émissions en cas de renouvellement de leur parc. Ce quota passera à 20 % le 1er janvier 2024 puis à 35 % en 2027 pour atteindre les 50 % à la fin de la décennie.

À cette pression réglementaire, s’ajoute le sujet historique du poids économique d’une flotte de véhicules au sein d’une entreprise. “Les fluctuations du prix des carburants ne sont pas récentes et représentent un budget titanesque pour l’entreprise”, confirme Barbara Tron, directrice marketing d’Océan, une solution numérique de gestion de flotte appartenant à la galaxie Orange.

Intérêts croisés

Les entreprises se sont d’abord tournées vers la télématique par intérêt financier. D’autant que les pratiques changent en matière de transport. “En tant que consommateur, nous sommes de plus en plus habitués à ne plus payer le transport [la livraison, ndlr], explique David Babin, fondateur d’Ubiwan, société basée à Bordeaux et dont l’actionnaire majoritaire est Coyote. Et cette tendance se répand également au sein des entreprises.” Or ce transport a toujours un coût. Cette tendance induit plus qu’avant une recherche d’optimisation permanente du coût des transports, recherche qui rencontre les défis environnementaux. “Les intérêts se sont croisés, car ce qui était déjà en place pour réduire les coûts de carburant permet également de réduire les émissions”, raconte Annick Renoux, directrice commerciale de Webfleet France. Dès lors, pour répondre aux attentes des entreprises en matière de décarbonation du parc automobile, les acteurs du numérique se sont d’abord appuyés sur leur solution historique : la géolocalisation, laquelle avait, là encore, un but économique : l’optimisation des trajets des salariés.

Webfleet travaille par exemple sur la planification des tournées. “C’est un outil qui vise à mieux organiser les déplacements des collaborateurs, permettant aussi de réduire les kilomètres excédentaires”, explique Annick Renoux. La recherche de gain de productivité et d’économie de carburant rejoint mécaniquement les enjeux environnementaux via les réductions d’émissions.

“La recherche d’optimisation permanente du coût des transports rencontre de plus en plus les défis environnementaux”

“La baisse est très rapide, certifie Barbara Tron. À la fin de la semaine, une entreprise peut gagner jusqu’à cinq fois 30 kilomètres par jour en réduisant les détours inutiles et les déplacements superflus.” Avec Ubiwan, David Babin revendique de son côté 20 % de déplacements en moins pour les entreprises utilisant ses outils. “On a la prétention de faire économiser 8 litres de carburants par mois à nos clients”, assure-t-il. Pour aller plus loin, il propose également un rapport de “géointelligence” qui détermine l’empreinte géographique de chaque véhicule du parc pour réfléchir ensuite à la logique de son activité. “Un déplacement de Biarritz à Poitiers est-il cohérent avec ma stratégie ?” interroge par exemple David Babin. “Quelle est la fréquence d’intervention de mes techniciens sur les points extrêmes de mon rayon d’action ? Ces questions peuvent conduire l’entreprise à adopter une autre logique, comme sédentariser un technicien plus proche de ses lieux d’intervention.”

Verdir son parc automobile

Les télématiciens en sont aussi venus à dépasser leur activité historique. “On évolue vers des demandes de solutions sans géolocalisation, pour faire remonter des comportements de conduite, des kilométrages, des données tableau de bord”, résume la directrice marketing d’Océan. Ces nouveaux outils vont notamment aider les entreprises à décarboner leur parc existant. Océan propose par exemple une analyse de surconsommation permettant d’identifier les véhicules au comportement anormal. “Parmi des véhicules de même type, si l’un surconsomme, l’écart peut être dû à un souci technique ou à un problème de comportement routier de la part du conducteur”, détaille Barbara Tron. Dans ce cas, le gestionnaire de flotte peut identifier un besoin de révision ou planifier une formation avec le collaborateur concerné.

Dans la même veine, Geotab, qui revendique la gestion de 3,8 millions de véhicules connectés à travers le monde, propose un “On Board Diagnostic” (OBD). “On place un accéléromètre et un gyroscope dans le boîtier, qui nous permettent de voir comment le conducteur se comporte au volant, expose François Denis, le directeur général France. Sur une flotte moyenne, la différence de consommation de carburant entre le conducteur qui consomme le plus et le conducteur qui consomme le moins monte jusqu’à 30 %.” “Sur le parc existant, l’économie environnementale est surtout liée à l’utilisation du véhicule par le conducteur”, abonde Laurent Hauducoeur, directeur commercial chez Traxall France qui gère les flottes de grandes entreprises. De son côté, Webfleet France a développé un score “Optidrive” pour analyser les freinages brusques, les fortes accélérations ou encore les arrêts moteurs tournants très gourmands en carburant.

“Grâce à nos outils, les entreprises déterminent la part de flotte de véhicules qui ne souffrira pas d’un passage à l’électrique”

Les services numériques de gestion de flotte se sont également mis au diapason en matière de véhicules électriques ou hybrides. “Pour une transition vers l’électrique réussie, tout se joue sur la politique automobile à déployer, c’est-à-dire l’identification de l’usage et du budget pour chaque véhicule”, pointe Laurent Hauducoeur. Avant de se lancer dans une transition, les prestataires préconisent un audit du parc existant. “Il sert à révéler la situation actuelle de la flotte de l’entreprise et à déterminer le retour possible sur investissement souligne David Babin. Grâce à nos outils, les entreprises déterminent la part de flotte de véhicules qui ne souffrira pas d’un passage à l’électrique. Par exemple, les véhicules qui reviennent au même point tous les soirs seront intéressants, car ce point peut être stratégique pour installer des bornes de recharge.”

Chez Traxall, Laurent Hauducoeur utilise un logiciel intégré pour établir un profil et comprendre les besoins du collaborateur. “L’objectif est de savoir qui est éligible à des véhicules totalement électriques, qui doit se tourner vers de l’hybride et qui doit rester au thermique sur une période de transition”, explique-t-il. Dans le même sens, Webfleet France propose un rapport pour identifier les véhicules susceptibles de passer à l’électrique. “Nous analysons les parcours réalisés par les véhicules, l’usage, le nombre de kilomètres parcourus, l’environnement où ils réalisent ces trajets, la fréquence de déplacement dans les ZFE, les bornes de recharge à proximité, s’ils circulent en ville ou plutôt sur autoroute”, énumère Annick Renoux. L’idée est la même lorsqu’Océan réalise son diagnostic de flotte. “Si vos arrêts sont en moyenne de deux heures lors de vos interventions ou vos livraisons, vous avez les moyens de recharger, mais si vous faites toute la journée des arrêts de cinq minutes, c’est impossible”, développe Barbara Tron.

Le marché de l’hybride et de l’électrique commence à être suffisamment développé pour pouvoir choisir, lors d’un renouvellement, des véhicules qui correspondent vraiment aux besoins. C’est l’ambition de François Denis chez Geotab. “On va pouvoir dire précisément : ‘à la place de ce véhicule thermique, vous allez pouvoir, pour le même usage, prendre tel ou tel véhicule électrique’.”

Une transition aussi logistique

Cette transition s’accompagne forcément d’une logistique différente. “Il s’agit d’identifier l’accès aux bornes de recharge, car donner des véhicules électriques à des collaborateurs qui ne peuvent pas accéder à la recharge n’a aucun intérêt et est même contre-productif”, fait remarquer Laurent Hauducoeur. Là aussi, les questions sont légion : quels véhicules brancher en priorité le soir ? Comment surveiller l’état de charge de chaque voiture ? Qui est prioritaire par rapport aux missions du lendemain ? “Gérer une flotte de véhicules électriques sans connaître l’état de charge des véhicules est pratiquement impossible”, prévient François Denis, qui s’assure que chaque gestionnaire de flotte a à sa disposition tous les éléments de charge sur un même logiciel. Webfleet développe de son côté une solution nommée “Smart Charging”. “Il s’agit de trouver les meilleurs moments pour recharger, décrit Annick Renoux. Si tout le monde recharge au même moment, on provoque vite des problèmes de coût et d’approvisionnement. L’objectif est donc d’identifier à quelle heure la plupart des gens rechargent et quand l’électricité est la plus chère.”

Dans ce maelström, un nouveau paramètre devrait venir jouer : l’intelligence artificielle (IA). Elle est déjà utilisée dans certaines applications et fait débat dans le milieu. “Je ne vois que des applications marketing, mais pas de modification concrète au niveau du produit”, prophétise Annick Renoux. Tel n’est pas l’avis de François Denis, chez Geotab, qui a lancé en juin dernier le Project G, une IA générative et conversationnelle. L’idée est de faciliter l’analyse des gestionnaires de flotte alors que le nombre de données ne cesse de s’accroître. “Pour répondre à une question complexe, ils vont pouvoir se faire aider par l’intelligence artificielle”, détaille le dirigeant. L’IA pourra paar exemple déterminer la consommation moyenne des Renault Mégane du parc sur les douze derniers mois, ou encore le nombre de kilogrammes de CO2 économisés en six mois.

Baptiste Madinier

Les flottes partagées, une autre solution d’économie

L’essor de “l’autopartage” en entreprise est encore une histoire de transformation. Dans les années 1980 et jusqu’à la fin des années 2000, la personnalisation du véhicule de l’entreprise faisait partie des avantages, voire du salaire. “Aujourd’hui, on assiste à une mutualisation du parc car les véhicules ne sont plus attribués à un seul chauffeur et c’est l’entreprise qui décide de la répartition”, analyse David Babin, patron d’Ubiwan. Et ce changement de paradigme s’est dessiné lorsque les entreprises ont commencé à constater que certains véhicules de leur flotte restaient souvent au parking. “Ces véhicules coûtent cher, l’idée est donc d’avoir le moins de véhicules possible qui restent à quai”, martèle Barbara Tron, directrice marketing chez Océan. L’une des solutions est de mettre une partie de sa flotte en autopartage.

“Un véhicule électrique peut être un très bon candidat à l’autopartage dans la mesure où il va revenir plusieurs fois sur sa base dans la journée et pouvoir être rechargé plusieurs fois”, souligne François Denis, directeur France de Geotab, qui propose un outil “keyless” (la clé étant remplacée par un système de verrouillage électronique) aux entreprises pour faciliter l’autopartage. La tendance est donc bien réelle, mais “n’explose pas autant qu’on pourrait le penser” tempère Annick Renoux de Weebfleet. Cette solution correspond plutôt à des véhicules rattachés à des sièges, avec de grosses directions où l’on trouve toute une flotte de véhicules mis à disposition. “L’autopartage est de plus en plus utilisé dans la fonction publique ou les milieux hospitaliers et industriels”, conclut David Babin.

Les freins persistants à l’électrification des flottes

Les solutions pour accompagner le passage à l’électrique se développent chez les acteurs du digital, mais les chiffres demeurent timides. Chez Traxall France, qui gère des flottes comprenant entre 200 et 4 000 véhicules pour le compte de grandes entreprises, le directeur commercial Laurent Hauducoeur assure que les commandes de véhicules électriques ne dépassent pas les 3 %. Le chiffre monte à 26 % en incluant les hybrides. “L’électrification du parc a un coût pour les entreprises et toutes n’ont pas les moyens de leurs ambitions environnementales”, avance Laurent Hauducoeur.

Pourtant, le potentiel est là, selon François Denis de Géotab, qui a réalisé une étude sur la question. “Sur l’ensemble des véhicules de flotte en France, 50 % peuvent passer à l’électrique sans changer leur usage”, assure-t-il. Le marché existe, mais reste limité par les prix et les inégalités géographiques. “Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne en France, souligne Barbara Tron, directrice marketing chez Océan. Certains livreurs doivent parcourir beaucoup de kilomètres pour assurer leurs prestations et n’ont pas forcément suffisamment d’infrastructures pour passer au tout électrique.” Des secteurs d’activité comme les livraisons du dernier kilomètre en ville ou les collectivités locales seraient par exemple plus à même que d’autres à faire la transition. Enfin, même si l’offre s’est considérablement développée, elle demeure un frein aujourd’hui selon Laurent Hauducoeur. “Au niveau des véhicules utilitaires, l’offre en hybride est inexistante et très faible en électrique”, achève-t-il.

En France, 450 000 entreprises possèdent au moins un véhicule, soit 10 % des personnes morales.

Source : ministère de la Transition écologique, août 2019